Le licenciement des traders

Rappel du droit applicable et impact de la loi du 13 juin 2024 (plafonnement indemnité de licenciement).

Les traders ont un salaire de base réputé confortable, mais ils perçoivent également des primes qui peuvent littéralement décupler leur base mensuelle. Or, en droit français, c’est le salaire moyen incluant les primes qui sert de base de calcul à l’indemnité de licenciement.

Cette simple précision aurait dissuadé certains établissements financiers d’installer une filiale en France et du personnel sous contrat de droit français, afin d’éviter de payer, en cas de licenciement, des sommes sans rapport avec les usages anglosaxons.

Pour encourager les banques à s’installer sur la place boursière française, notre législateur s’est montré (très) compréhensif et a limité légalement, en juin 2024, le montant du salaire à prendre en compte.

Un trader c’est quoi ?

En anglais, « to trade » signifie négocier, commercer. En français, un trader est un opérateur de marché, c’est-à-dire un investisseur spécialisé dans le marché financier.

Son rôle est d’anticiper et exploiter les variations du marché boursier dans un secteur donné, pour acheter et revendre au bon moment (et ainsi réaliser un bénéfice), qu’il s’agisse d’actions, d’obligations ou de produits dérivés.

Les marchés étant très fluctuants, un bon trader exploite et même anticipe ces variations à l’aide d’indicateurs mathématiques, statistiques et économiques.

La fonction peut être exercée dans diverses structures

  • trader salarié d’une banque, ou indépendant,
  • trader pour une société d’investissement (fonds de pension), une banque classique ou une entreprise cotée en bourse,
  • trader spécialisé dans un type particulier d’investissement (énergie, matières premières, monnaies…)

Le salaire de base moyen mensuel varie de 4.000 euros à plus de 10.000 euros pour un trader expérimenté et/ou à la spécialisation recherchée, et les primes (ou bonus) peuvent atteindre 8 à 10 fois le salaire de base.

Les bénéfices rapportés à l’établissement financier, l’exposition à une tension perpétuelle liée au risque, l’agilité et la réactivité indispensables à la fonction sont les principales raisons de leur niveau de rémunération.

En quoi le montant des bonus est-il un frein à l’embauche de traders en France ?

Les banques étrangères ayant une activité internationale, et plus particulièrement les banques américaines hésitent à installer des établissements sur le sol français, et à y embaucher ou y transférer des effectifs… à cause des règles de calcul de l’indemnité de licenciement.

En droit français, en cas de licenciement pour motif soit économique, soit personnel (inaptitude médicale, faute non grave ou insuffisance professionnelle), une indemnité est due. Les seules exceptions sont la faute grave ou lourde.

Cette indemnité de licenciement n’est pas négociable, mais calculée selon un barème qui s’impose aux parties.

Or, en droit allemand et britannique, une telle indemnité n’est prévue qu’en cas de licenciement économique (suppression de poste), et en droit américain, jamais.
L’usage américain est de prévoir une éventuelle indemnité dans le contrat de travail, dont le montant et les conditions d’octroi sont négociés de gré à gré, individuellement.
Autre solution : le salarié est licencié sans indemnité, mais on négocie ensuite une transaction en contrepartie de sa renonciation à toute contestation. Aucun montant n’est en tout cas imposé par la loi.

Le contrat de travail du trader relève de la convention collective de la Banque

Cette convention collective régit les relations salariées des établissements bancaires, des établissements de crédit et des sociétés ou fonds d’investissements, parfois réunis en une seule enseigne, et également les sociétés d’affacturage ou de crédit-bail.

Or cette convention collective a pour particularités :

  • de prévoir un barème supérieur à celui du code du travail,
  • de prévoir un barème pour chaque type de licenciement (non disciplinaire / disciplinaire / économique).

Le barème applicable en cas d’insuffisance professionnelle (motif le plus fréquent) prévoit, dès 1 an d’ancienneté :

  • ½ x (13/14,5) d’une mensualité par semestre complet d’ancienneté acquis antérieurement à 2002,
  • 1/5 d’une mensualité par semestre complet d’ancienneté acquis à partir de 2002.

Qu’est-ce qu’une « mensualité » ? C’est le salaire moyen retenu pour le calcul, et la convention le fixe à 1/13e du salaire annuel, incluant toutes les sommes dès lors qu’elles ont le caractère de salaire : primes et bonus.

N.B. :
1) ce barème est très avantageux puisqu’il se calcule par semestre d’ancienneté, et non par années comme la majorité des conventions collectives et comme le code du travail.
2) ce barème reste avantageux malgré la division par 13 au lieu de 12 du montant annuel perçu.

Pour les salariés embauchés à partir du 1er janvier 2000, l'indemnité est plafonnée au total à 15 mensualités.

Pour un trader qui gagne 96.000 euros bruts de base par an, auxquels s’ajoutent 700.000 euros de primes, soit un total de 796.000 euros par an, avec 10 ans d’ancienneté au moment de la rupture, l’indemnité de licenciement sera de :

Sur la base d’une mensualité de 796.000 / 13 = 61.230 euros :

  • (61.230 / 5) x 20 semestres = 244.923 euros

(Avec le barème légal d’1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté, l’indemnité serait égale à : 165.833 euros).

Verser un bonus lié à un bénéfice colossal encaissé par l’établissement financer est une chose… verser une indemnité importante décorrélée de tout bénéfice en est une autre.

Que prévoit la loi du 13 juin 2024 ?

Les établissements financiers ont donc fait pression auprès du gouvernement pour obtenir… un traitement de faveur.
En effet, restreindre l’assiette de calcul de l’indemnité de licenciement est un avantage significatif accordé à des employeurs d’un secteur assez dynamique pour accorder de telles rémunérations.

L’idée était donc de permettre un plafonnement de la rémunération des traders, en excluant tout ou partie des variables perçus.
Cette évolution est une révolution symbolique, qui pourrait ensuite essaimer vers d’autres rémunérations jugées importantes, et qui a suscité quelques débats en amont… mais elle a été votée.

Les banques ont invoqué, pour justifier leur demande, le caractère cyclique de leur activité, la volatilité du marché et le risque inhérent au trading.

Le gouvernement a indiqué accéder à la demande des investisseurs afin d’attirer des enseignes bancaires sur la place boursière de Paris, y compris attirer les établissements britanniques (sortis de l’UE), et rendre la capitale aussi attractive qu’une autre capitale européenne.

La loi du 13 juin 2024 « visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France » prévoit donc diverses mesures facilitant l’introduction en bourse des entreprises de toute taille ayant besoin d’une levée de fonds, et également le plafonnement des indemnités de licenciement des traders.

Plus précisément, sont plafonnées les indemnités de licenciement des « preneurs de risques », et de leurs responsables directs.

Sont considérés comme « preneurs de risques » au sens de cette loi :

  • les traders et leurs responsables directs
  • les responsables des secteurs de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme (LCB-FT), de la sécurité de l’information, et de la gestion de l’externalisation des fonctions essentielles : toutes fonctions exposées à la gestion de risques forts.

Ces fonctions sont usuellement rémunérées plus de 750.000 euros par an, et représentent les 0,3 % les plus hautes des rémunérations d’une entreprise financière de plus de 1.000 salariés.
Ne sont donc concernés que quelques postes dans chaque grand établissement.

N.B. : L’objectif est bien de protéger les employeurs des conséquences financières d’un licenciement pour un très haut salaire, et non de tenir compte des aléas cycliques de la profession, puisque les responsables LCB-FT ne sont soumis à aucun cycle…

Pour ces fonctions de « preneurs de risques », la rémunération prise en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement pourra être désormais plafonnée à la valeur d’un plafond annuel sécurité sociale (47.100 euros au 1er janvier 2025).

Cette disposition légale, entrée en vigueur dès la publication au JO du 14 juin 2024, a été codifiée non pas dans le code du travail mais dans le code monétaire et financier, qui renvoie au code du travail :

« Art. L. 511-84-1.-
Pour l'application des articles L. 1226-15, L. 1234-9, L. 1235-3, L. 1235-3-1, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail, la détermination de l'indemnité à la charge de l’employeur ne prend pas en compte, pour les preneurs de risques au sens des articles 5 et 6 du règlement délégué (UE) 2021/923 de la Commission du 25 mars 2021 complétant la directive 2013/36/ UE du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation fixant les critères permettant de définir les responsabilités dirigeantes, les fonctions de contrôle, l'unité opérationnelle importante et l'incidence significative sur le profil de risque de cette unité, et fixant les critères permettant de recenser les membres du personnel ou les catégories de personnel dont les activités professionnelles ont une incidence sur le profil de risque de l'établissement qui est comparativement aussi significative que celle des membres du personnel ou catégories de personnel visés à l'article 92, paragraphe 3, de ladite directive, la partie de la part variable de la rémunération dont le versement peut être réduit ou donner lieu à restitution en application de l'article L. 511-84 du présent code.
« Pour l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail, le montant de la rémunération mensuelle prise en compte dans le calcul de l'indemnité octroyée par le juge aux salariés d'un établissement de crédit, d'une société de financement, d'une entreprise d'investissement ou d'une entreprise d'assurance ou de réassurance qui ont le pouvoir de prendre, d'approuver ou d'opposer leur veto à une décision portant sur des transactions du portefeuille de négociation ou qui dirigent directement un groupe de personnes ayant individuellement le pouvoir d'engager l'entreprise pour de telles transactions ne peut excéder le montant annuel du plafond mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale. »

Code monétaire et financier

Attention :

Il s’agit là de l’indemnité de licenciement, due automatiquement en cas de licenciement (sauf faute grave ou lourde). Ne pas confondre avec les dommages et intérêts accordés par le juge prud’homal ou en cause d’appel, en cas de licenciement contesté et jugé sans cause réelle ni sérieuse.

Dans ce cas, rien n’empêche le trader licencié de réclamer des dommages et intérêts calculés sur la base de son salaire moyen mensuel incluant toutes primes.

Le montant de ces dommages et intérêts accordés en cas de succès est également plafonné depuis l’ordonnance de 2017 prise par E. Macron, selon un barème associé à l’ancienneté.
Le juge peut accorder un montant compris entre 3 mois de salaire, et un nombre maximum de mois de salaire qui dépend de l’ancienneté.
Mais le salaire à prendre en compte n’est pas plafonné.

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