Heures supplémentaires : comment les prouver, comment les chiffrer, point sur la jurisprudence
Les heures supplémentaires ont une définition légale, mais les règles de preuve et de chiffrage de ces heures supplémentaires sont régulièrement ajustées par la jurisprudence : point sur les dernières décisions importantes.
Définition des Heures Supplémentaires
Il s’agit des heures effectuées au-delà de la durée légale du travail, soit à ce jour 35 heures par semaine pour un temps plein.
Nota Bene 1 : un contrat de travail ou une convention collective peut prévoir un horaire hebdomadaire supérieur à 35 heures : 37 ou 39 heures sont des horaires fréquents. Dans ce cas, la rémunération contractuelle inclut le volume d’heures supplémentaires prévu forfaitairement.
Nota Bene 2 : un salarié cadre ne dispose pas automatiquement d’un « forfait jours », qui doit être expressément prévu au contrat de travail et par la convention collective applicable. Sans la précision de ce forfait annuel en jours, le cadre travaille par défaut selon la référence horaire légale (35 heures).
Nota Bene 3: les cadres dirigeants sont exclus du décompte de leur temps de travail et ne bénéficient donc pas de cette réglementation. Attention, la qualité de cadre dirigeant doit se déduire de réels niveaux de responsabilité, d’autonomie et de rémunération dans une entreprise donnée.
Calcul des heures supplémentaires
L’heure supplémentaire se calcule par semaine civile.
Le décompte des heures supplémentaires ne prend en compte que les jours de travail effectif (ou assimilé à du travail effectif, comme la formation ou les heures de délégation syndicale).
Un jour férié et chômé ou un jour de congé payé vient en déduction du total des heures effectuées sur la semaine, et retarde d’autant la comptabilisation d’éventuelles heures supplémentaires.
Les jours de maladie sont en principe exclus du décompte, ainsi que les jours d’astreinte n’ayant pas déclenché d’intervention, sauf disposition contraire d’un accord collectif.
Les heures effectuées dans une semaine civile au-delà de 35 heures donnent lieu à un paiement majoré selon les dispositions légales, ou à un repos compensateur si disposition conventionnelle en ce sens.
Le salarié à temps partiel (par exemple 30 heures par semaine) n’aura droit à paiement d’heures supplémentaires majorées que s’il effectue, sur une semaine donnée, plus de 35 heures. Les heures effectuées entre 30 et 35 heures (dans l’exemple donné) ne sont pas des heures supplémentaires mais des heures complémentaires, qui donnent lieu à paiement mais sans majoration.
Dernière précision : les heures supplémentaires doivent être en principe demandées par l’employeur, et ne peuvent être effectuées par le salarié de sa seule initiative.
Elles doivent à tout le moins être demandées de façon implicite par l’employeur. C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que le salarié qui estime nécessaire d’effectuer des heures supplémentaires (en raison de sa charge de travail, d’une difficulté technique, d’un délai impératif etc.), a intérêt à le signaler à son employeur par tout moyen écrit (mail ou sms), avant de les effectuer.
Si l’employeur ne répond pas ou valide, alors les heures supplémentaires sont considérées comme demandées implicitement.
Si l’employeur les refuse expressément, le salarié n’a pas à les effectuer.
Il est également possible de prouver l’accord implicite de l’employeur en apportant la preuve qu’il a été régulièrement informé des horaires pratiqués (échanges téléphoniques, constat visuel, information de la hiérarchie etc.) sans avoir jamais contesté ou limité ces horaires.
La prescription
Le délai pour réclamer le paiement d’heures supplémentaires en justice est de 3 ans, à compter du jour où le salarié a connaissance de son droit.
Le plus souvent, la demande de paiement d’heures supplémentaires est formulée en complément d’une contestation de licenciement : dans ce cas la demande porte sur les trois dernières années précédant la rupture.
Il est néanmoins recommandé au salarié qui n’est pas payé d’heures supplémentaires effectuées en cours de contrat de ne pas attendre une éventuelle rupture pour réclamer le paiement par écrit.
L’employeur aura ainsi l’opportunité soit de payer, soit d’indiquer les raisons pour lesquelles il ne veut pas payer ces heures (heures qu’il juge non demandées, calcul erroné, mauvaise interprétation d’un accord durée du travail etc.)
En cas de licenciement quelque soit le motif, la réclamation écrite formulée préalablement au sujet du paiement des heures renforcera la demande formulée devant le conseil de prud’hommes.
La preuve des heures supplémentaires
Prouver la réalisation et le nombre d’heures supplémentaires effectuées est l’objet d’un contentieux nourri et de nombreuses décisions de la cour de cassation.
Deux questions sont régulièrement débattues :
- qui a la charge de la preuve, du salarié qui demande le paiement d’heures supplémentaires ou de l’employeur qui conteste ce paiement ?
- quels éléments/ documents constituent une preuve « suffisamment précise » pour être recevable ?
Charge de la preuve
En premier lieu, rappelons que c’est à l’employeur de mettre en place un mode de contrôle et de décompte de la durée du travail, pour les salariés dont l’horaire de travail n’est pas fixe et collectif (horaires d’atelier ou de commerce par ex).
Selon l’article L3171-2 du code du travail, l’employeur doit donc être en mesure de fournir des relevés de badgeage ou toute autre mesure objective des heures effectuées par chacun.
Mais ceci doit se conjuguer avec l’article L3171-4 du code du travail entré en vigueur en mai 2008 :
« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Article L3171-4 du code du travail
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
En application de cet article, la charge de la preuve d’heures supplémentaires (ou autres heures effectuées mais non travaillées) est donc partagée entre salarié et employeur. L’employeur ne peut pas s’affranchir de répondre et doit justifier son refus de payer les heures réclamées.
La jurisprudence de la cour de cassation a régulièrement affiné ses exigences en la matière : depuis 2020, il est stable que le salarié doit étayer sa demande chiffrée d’heures supplémentaires « d’éléments suffisamment précis afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
Les éléments « suffisamment précis » sont, au gré des arrêts pris par la cour de cassation en 2021 et 2022 :
- des relevés établis par le salarié faisant figurer le détail des heures de début et fin de poste, heures de déjeuner, mais pas les pauses (27 janvier 2021),
- un relevé « forfaitaire » du nombre d’heures, c’est-à-dire une appréciation globale sur une période sans détail quotidien, par exemple 1 heure par jour en moyenne = 5 heures par semaine, donc x heures sur l’année, en l’absence de tout élément produit par l’employeur (17 février 2021),
- un décompte hebdomadaire d’horaires, quelques mails reçus et un mail envoyé (16 février 2022),
- un décompte hebdomadaire comportant des incohérences et sans déduction des pauses ni des temps de trajet, mais en l’absence de tout élément produit par l’employeur (1er juin 2022).
Cette jurisprudence se révèle actuellement plus tolérante qu’au cours de la décennie passée sur la qualité des pièces produites pour justifier de la réalité et du nombre des heures supplémentaires.
Il faut cependant noter que dans ces espèces, la cour a vraisemblablement sanctionné des employeurs n’étant pas en mesure de produire le moindre élément de défense, reconnaissant ainsi qu’aucun outil de mesure de la durée du travail des salariés n’avait été mis en place.
Il est cependant toujours recommandé, pour éviter un débouté, de produire des relevés quotidiens, excluant les déjeuners, pauses ou trajets personnels, et de calculer les heures au plus juste en évitant la méthode du forfait.
Le relevé le plus fiable reste celui du salarié, y compris manuel (carnet, agenda) à condition qu’il ait été établi jour après jour au moment des faits (au cours de la collaboration) et non a posteriori pour les besoins de la cause.
Les attestations de témoins directs des horaires pratiqués peuvent être utiles. Les échanges de mails ne sont une preuve que lorsque les messages mettent en évidence une demande de l’employeur (et non seulement une information donnée ne nécessitant pas de réponse, ou un message pouvant être traité le lendemain), et une réponse fournie par le salarié impliquant un travail. Il est donc utile de conserver les preuves quotidiennes des heures travaillées dès qu’il apparaît que le paiement des heures sera conflictuel.