L'exécution d'un jugement prud'homal

  • Exécution provisoire
  • Taux d’intérêt légal
  • Opportunité d’un appel

Principe de l’exécution provisoire

Un jugement prud’homal fait tout d’abord l’objet d’un prononcé :

La synthèse de la décision est communiquée par le greffe (affaire gagnée, ou perdue, montant des condamnations par chef de demande), soit par téléphone, ou par affichage, ou par prononcé en début d’audience.

Ensuite, dans un délai de quelques jours/semaines/mois selon le conseil de prud’hommes, le jugement complet (motivé et signé par le président de la formation qui a statué), est notifié aux parties par voie postale.

Le courrier peut être adressé en simple ou recommandé, selon les usages du CPH en question.

La date de réception du jugement par voie postale marque le délai d’appel ouvert à chacune des parties : 1 mois en matière prud’homale.

Au terme de ce délai d’un mois, si aucun appel n’est formé, le jugement devient exécutoire : il a autorité de chose jugée, et les condamnations doivent être payées sans délai.

Si l’une des parties (ou les deux) fait appel de la décision, les condamnations sont remises en question jusqu’à la décision d’appel, qui peut confirmer ou infirmer, totalement ou partiellement, les dispositions du jugement.

Néanmoins, une partie des condamnations est possiblement due dès la notification du jugement, malgré l’appel, du fait de l’exécution provisoire.

L’exécution provisoire est le mécanisme légal qui prévoit qu’un jugement est donc exécutable immédiatement, au moins partiellement, malgré l’appel formé par une des parties.

Cela peut concerner

  • des condamnations à paiement une somme (salaires, congés, indemnités, dommages et intérêts),

Et/ou :

  • la remise de documents indispensables à l’exercice des droits du salarié : remise de l’attestation Pôle Emploi/ France Travail, de bulletins de paye, du certificat de travail etc. documents parfois non remis, ou remis avec des mentions erronées.

N.B. : Si la décision d’appel infirme le jugement et donc les condamnations, les sommes versées au salarié devront être restituées.

Exécution provisoire de plein droit ou ordonnée par le juge

L’exécution provisoire de plein droit

C’est l’exécution provisoire qui s’applique automatiquement, que le président d’audience la mentionne ou non dans le jugement.

Elle est prévue par l’article R-1454-28 du code du travail :

« Sont de droit exécutoires à titre provisoire, notamment :
1) Le jugement qui n'est susceptible d'appel que par suite d'une demande reconventionnelle;
2) Le jugement qui ordonne la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer;
3) Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Cette moyenne est mentionnée dans le jugement. »

L’exécution provisoire de droit concerne les condamnations suivantes, dans la limite légale des 9 mois de salaire moyen :

  • remise des documents sociaux, bulletins de paye etc.
  • paiement des rémunérations et indemnités, soit : les condamnations visant les salaires, congés, préavis, commissions, primes, bonus, et de l’indemnité de licenciement.

On notera donc que les dommages et intérêts, (distincts des indemnités de licenciement, de non-concurrence, de préavis…) ne sont pas visés par l’exécution provisoire de droit.

Exemple 1 :

Un salarié licencié ayant déjà perçu son indemnité de licenciement, son préavis et ses congés sur préavis au moment de la rupture, demande au juge des dommages et intérêts pour licenciement sans cause (ou nul).

Le salarié obtient gain de cause, mais l’employeur fait appel : l’exécution provisoire de plein droit ne permet pas au salarié d’exiger les sommes (qui sont des dommages et intérêts), et il doit attendre la fin de la procédure.

Exemple 2 :

Un salarié a été licencié pour faute grave, sans préavis ni indemnité. Il obtient par jugement : le préavis (3 mois), l’indemnité de licenciement (3 mois dans son cas), un rappel de salaire pour diverses primes et heures supplémentaires (6 mois), et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause (8 mois dans son cas).

L’employeur fait appel. Le salarié peut néanmoins exiger, du fait de l’exécution provisoire, le paiement de :

Préavis + indemnité de licenciement + rappel de salaire, le tout dans la limite de 9 mois, soit dans l’exemple une petite moitié des condamnations.
Les dommages et intérêts ne sont pas concernés.

Comment apparaît l’exécution provisoire dans le jugement :

Soit le jugement ne précise rien, soit il se contente de confirmer les dis-positions légales sur l’exécution provisoire.

Exemple de mention au jugement :
« Rappelle qu’en vertu de l’article R-1454-28 du code du travail, ces con-damnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de 9 mois de salaire, calculés sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire. »

Ou :
« Ordonne l’exécution provisoire du jugement limitée aux éléments de droit »

L’exécution provisoire ordonnée par le juge

Elle est possible, et prévue par l’article 515 du Code de Procédure Civile :

« Lorsqu'il est prévu par la loi que l'exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d'office ou à la demande d'une partie, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire.

Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la décision. »

Le juge peut donc décider d’ordonner l’exécution provisoire sur toutes les condamnations du jugement, y compris les dommages et intérêts.

Dans ce cas, le jugement mentionne expressément cette disposition en visant l’article 515 du CPC.

Cette disposition est demandée quasi-systématiquement par le deman-deur, mais elle est rarement obtenue en matière prud’homale.

Portée de l’exécution provisoire

En cas d’appel, l’exécution provisoire peut être contestée, si la mise en œuvre de cette mesure a des « conséquences manifestement exces-sives ». Il faut initier une procédure devant le premier président de la cour d’appel, qui statuera sur ce seul point, indépendamment du juge-ment au fond.

Article 514-3 du code de Procédure civile :

« En cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exé-cution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annu-lation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des consé-quences manifestement excessives. »
S’agissant d’un employeur, si c’est une société in bonis, il est rare que ces conditions puissent s’appliquer.

Attention : si l’exécution provisoire n’est pas exécutée, l’appel formé contre le jugement peut être radié.

Article 524 Code de Procédure civile :
« Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.
La demande de l'intimé doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, être présentée avant l'expiration des délais prescrits aux articles 906-2, 909, 910 et 911. »

Il est donc utile de surveiller la bonne exécution des condamnations à titre provisoire, pour éviter toute démarche de la part de l’intimé, visant à faire radier la procédure d’appel. L’appel pourra être réintroduit dès que l’exécution provisoire aura été effectuée.

Impact du taux d’intérêt légal sur la décision d’appel

Outre les éléments de fait et de droit propres au dossier, et l’évaluation faite par l’avocat des chances d’obtenir une meilleure décision en appel, plusieurs facteurs peuvent influer sur la décision de faire appel :

Le délai d’audiencement de la cour d’appel compétente.

On constate, hélas, que les cours d’appel de Paris, Versailles et dans une moindre mesure Orléans sont saturées en matière sociale (du fait de sous effectifs), et que les délais d’audiencement sont de l’ordre de 20-24 mois entre l’enregistrement de l’appel et l’audience de plaidoirie.

Ce délai peut avoir un effet dissuasif côté salarié, et au contraire encourager l’employeur à faire durer la procédure… sauf si l’essentiel des condamnations a été déjà payé, par application de l’exécution provisoire.

Plus les condamnations sont largement couvertes par l’exécution provisoire, moins l’employeur a intérêt à faire appel, sauf la quasi-certitude de faire baisser le montant des condamnations (par exemple du fait de nouvelles pièces à communiquer).

Un autre élément à prendre en compte, qui a récemment évolué, est le taux d’intérêt légal applicables aux condamnations :

Le taux d’intérêt légal

Il s’agit du taux d’intérêt applicable aux sommes dues dans le cadre des condamnations, pour la partie de celles qui n’ont pas été soumises à exé-cution provisoire (les dommages et intérêts).

Il est distinct du taux d’intérêt fixé par les banques, et du taux d’usure.
Le taux d’intérêt légal est fixé par décret et varie tous les semestres.

Il peut être « simple » : c’est celui qu’on applique aux condamnations prononcées en instance et confirmées en appel, ou « majoré » si le débiteur ne paye pas ses condamnations à compter de deux mois à partir de la notification du jugement définitif ou de l’arrêt d’appel.
Le taux majoré est supérieur au taux simple.

S’agissant du taux simple, il a été longtemps assez modeste voire insignifiant dans les années 2010, puis est passé à +/- 3% entre 2020 et 2023.

Depuis le second semestre 2023, il a notablement augmenté, passant de 4,47 à 6,82 %, puis à 8,01 %, et actuellement à 8,16 %.

L’intérêt légal est à calculer sur une période qui varie selon la nature de la somme :

  • si la somme a caractère de salaire (soumise à cotisations sociales : salaire, congés, préavis, primes, bonus, heures supp etc.) :

L’intérêt doit être calculé à compter de la date de convocation en BCO (en BJ si BJ direct), puisque que c’est la date à laquelle le défendeur a été informé des sommes officiellement réclamées.

  • si la somme a caractère d’indemnité (indemnité de licenciement) :

L’intérêt doit être calculé à la date de saisine du conseil de prud’hommes par requête.

  • si la somme a caractère de dommages et intérêts :

L’intérêt doit être calculé à la date de notification de la décision de pre-mière instance (puisque le débiteur ne pouvait connaître avant cette date le montant des DI fixé par les juges).

Appliqué à la durée comprise entre la convocation en BCO et la notifica-tion d’une décision d’appel, soit au moins 3 ans en région parisienne, l’intérêt légal peut donc représenter une somme importante, (sur une condamnation de 100.000 euros, de l’ordre de 16.000 euros pour une procédure ayant couru de 2022 à 2024).

L’employeur doit donc anticiper ce surcoût en cas de confirmation par la cour d’appel du jugement prud’homal, ce qui peut contrebalancer les ef-fets d’une meilleure décision, et on observe une baisse des appels formés par les employeurs courant 2024.

NB : Il existe deux taux réglementaires pour l’intérêt légal :
– Celui applicable au créancier considéré comme un particulier,
– Celui applicable au créancier considéré comme un professionnel. Ce dernier taux est plus faible.

Dans le cas d’une procédure prud’homale entre un salarié et un employeur, on considère que le salarié est à considérer comme un particulier et non comme un professionnel (au sens de commerçant ou de représentant d’entreprise), c’est donc le taux le plus avantageux qui s’applique.