Cas pratique, analyse de jugement CPH Paris : Retrouver son poste au retour d’un congé maternité versus liberté de l’employeur d’organiser l’activité

Au retour d’un congé maternité, et en application du code du travail, l’employeur doit restituer à la salariée « son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente » (article L1225-25).

  • Qu’entend-on par « emploi similaire » ?
  • Si une réorganisation a lieu pendant le congé maternité, quid de la priorité de réintégration sur le poste précédemment occupé ?
  • Quelle est la marge de manœuvre de l’employeur ?

Données du dossier :

Madame C. est Analyste financier (cadre) dans une société de gestion de fonds immobiliers (CCN Immobilier).
Elle a 8 ans d’ancienneté au moment faits, et a connu une progression régulière et des appréciations satisfaisantes.
Elle appartient à une équipe de 3 collaborateurs disposant du même intitulé de poste : Fund Manager.
Elle part en congé maternité du 28 mai au 16 septembre 2022, puis en maladie (congé pathologique) jusqu’au 2 janvier 2023.

Pendant son absence, l’employeur réorganise le service de 3 personnes :

  • suppression d’un des 3 postes de Fund manager et création d’un poste de Financial fund manager.
  • A la même époque, les 2 autres Fund managers démissionnent.
    2 postes sont donc vacants, le 3e étant occupé par Madame C., même si son contrat est suspendu pour cause de maternité.
  • La suppression d’un poste de Fund manager n’empêche donc pas, en principe, la réintégration de Madame C. sur son poste d’origine, puisque 2 postes de cette nature sont disponibles.

L’employeur recrute cependant 2 nouveaux Fund managers, en Contrat à Durée Indéterminée, et indique à Madame C. qu’elle sera affectée, à son retour, au poste de Financial fund manager, considéré comme « poste équivalent » pour la même rémunération.

La salariée, informée de cette nouvelle affectation quelques jours avant sa reprise, proteste par écrit, et rappelle qu’il s’agit d’une décision discriminatoire en raison de la maternité, au visa de l’article L 1142-1 du code du travail :

« Sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut :
(…)
2° Refuser d’embaucher une personne, prononcer une mutation, résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d'un salarié en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse sur la base de critères de choix différents selon le sexe, la situation de famille ou la grossesse ;
3° Prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation. »

Article L 1142-1 du code du travail

L’employeur maintient son affectation aux motifs que :

  • la date de retour de la salariée n’aurait pas été connue, un congé parental ou une prolongation de maladie étant possibles, il devait pouvoir organiser le service avant son retour,
  • le poste auquel Madame C. est désormais affectée est similaire en responsabilités, activités et rémunération, elle ne peut donc invoquer aucun préjudice,
  • la mutation de Madame C. d’un poste à l’autre et le recrutement de nouveaux Fund managers en CDI relève du pouvoir d’organisation de l’employeur.

Madame C. tente d’occuper le nouveau poste sur lequel elle a été affectée, en soulignant les moindres responsabilités, les réunions importantes auxquelles elle n’est plus conviée, etc.

Contentieux et demandes :

Madame C. est en arrêt maladie à compter de fin mars 2023.

Elle saisit le CPH de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat et requalification en licenciement NUL, aux torts exclusifs de l’employeur, pour discrimination en raison de la grossesse et condamnation aux dédommagements en découlant.

Par jugement du 14 mars 2024, le conseil de prud’hommes de Paris (Section Encadrement) a jugé que :

  • la réorganisation du service (suppression d’un poste sur les 3) mise en place par l’employeur pendant le congé maternité était possible, relevant du pouvoir de gestion de l’employeur, à condition de préserver le poste détenu par Madame C. avant son départ en maternité.
  • le fait qu’au moment de la réorganisation la salariée ne soit plus en congé maternité mais en congé pathologique faisant immédiatement suite à la maternité ne change rien à l’appréciation des faits.
  • le poste de la salariée peut faire l’objet d’une embauche pendant son congé, à condition que ce soit en CDD pour cause de remplacement temporaire.
  • la réintégration doit s’effectuer prioritairement sur l’ancien poste, comme l’avait déjà précisé la cour de cassation et notamment par son arrêt du 25 mai 2011, (cass chambre sociale, n° 09 – 72.556.)
  • la proposition d’un emploi « similaire » ne peut avoir lieu que si le poste d’origine est indisponible, la notion d’indisponibilité excluant l’occupation du poste par une tierce personne sur décision de l’employeur.
  • la question de savoir si le poste de Financial fund manager est équiva-lent à celui de Fund manager n’est pas réellement étudiée par le CPH puisque la mutation n’aurait pas du avoir lieu.
  • cette mutation imposée et l’embauche de CDI sur le poste tenu par la salariée avant son congé maternité est une faute suffisamment grave pour justifier une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, requalifiable en licenciement nul car discriminatoire en raison de la maternité.
  • condamne l’employeur au paiement de :
    • Indemnité de licenciement
    • Indemnité de préavis
    • Dommages et intérêts pour licenciement nul (8 mois de salaire)
  • Article 700 CPC.

L’employeur n’a pas fait appel de la décision.

Arguments et pièces décisives pour convaincre le CPH :

  • expliciter l’organisation du service avec les organigrammes, les communiqués de l’employeur sur la réorganisation,
  • expliciter la chronologie précise du congé maternité/congé pathologique au regard des étapes effectives de la réorganisation (embauches des CDI, annonce de la mutation),
  • expliciter le contenu des postes de Fund Manager et Fund Financial Manager (fiches de poste ; documents illustrant le contenu du poste, le périmètre précis, l’étendue des responsabilités, le budget alloué etc.),
  • mettre en évidence les échanges entre la salariée et sa direction (mails et courriers) par lesquels la salariée informait régulièrement l’employeur de sa situation : arrêts de travail, échanges sur l’organisation du service, aucune demande de bénéficier d’un congé parental ni même d’un temps partiel qui aurait pu (partiellement) justifier l’embauche de CDI sur son poste.
  • la jurisprudence de la cour de cassation sur des cas de figure analogues.

Si vous êtes en congé maternité (ou prochainement) et que l’organisation professionnelle prévue / survenue en votre absence ne vous semble pas conforme à vos droits, prenez contact avec un avocat pour savoir :

  • quels sont vos droits exacts
  • quoi écrire ou ne pas écrire
  • quelles pièces réunir
  • quels délais pour agir.