Rémunération variable des commerciaux dans le secteur automobile

Rappel du droit applicable à la rémunération variable… et aux conditions de sa modification

Etat des lieux du secteur automobile :

Le secteur de la vente d’automobiles (tous types de moteurs confondus) a souffert de la crise sanitaire de 2020, et reste en récession depuis cette époque (autour de 25 % depuis 2019, de 30 à 40 % selon les marques).

Les raisons sont multiples :

  • délais de fabrication et de livraison allongés,
  • problèmes d’approvisionnement des semi-conducteurs, éléments électriques et matières premières,
  • hausse des prix de vente, consécutive à la hausse des coûts de
  • fabrication et de transport, consécutive à la hausse du coût de l’énergie,
  • suppressions ou réductions des mesures d’aide gouvernementales,
  • développement du marché de l'occasion,
  • restrictions « écologiques » à la pratique automobile dans de nombreuses métropoles (prix du parking, réduction de la vitesse, piétonnisation des voies etc.).

La rentabilité des concessionnaires de véhicules neufs est également affectée par la baisse des ventes de produits périphériques : solutions de financement d’achat automobile, produits accessoires.

Tous ces postes de profit sont en baisse, réduisant d’autant les marges, et les commissions des vendeurs.

En effet, la rémunération des vendeurs, commerciaux et responsables commerciaux est usuellement composée d’un salaire fixe (1000 à 1500 euros en moyenne) et de commissions sur les ventes réalisées (jusqu’à 4500 euros mensuels bruts pour un vendeur aguerri).

Dans le secteur automobile, la partie variable peut atteindre 75 % du salaire total, et en tout cas une portion majoritaire, malgré son caractère variable par essence.

Les primes peuvent être découpées en plusieurs types de commissions :

  • prime sur vente de financement, de contrat d’entretien ou d’extension de garantie,
  • prime sur vente d’accessoire,
  • prime de livraison…

Quels que soient leur intitulé et les échéances de versement, ce sont toujours :

  • des éléments de rémunération variable,
  • ayant caractère de salaire (cotisable),
  • entrant dans le calcul moyen du salaire au regard de Pôle Emploi, ou d’un conseil de prud’hommes,
  • calculés en application d’un plan de commissionnement préalablement communiqué au salarié, en général en début d’année.

Une baisse importante des volumes de vente entraîne donc mathématiquement une perte de salaire, pouvant atteindre 50% du revenu mensuel habituel.

Les distributeurs et concessionnaires automobiles ont étudié diverses solutions pour maintenir une rémunération attractive aux équipes commerciales, sans mettre en péril la trésorerie. La désaffection des vendeurs expérimentés pour le secteur automobile risquerait d’aggraver d’autant le recul de l’activité des concessions.

Les employeurs ont donc intérêt à trouver des solutions pour adapter les rémunérations et ainsi maintenir l’intérêt économique des collaborateurs.

Classiquement, la part variable est calculée une fois la voiture livrée et le concessionnaire payé par le client.

Certains ont choisi par exemple de déclencher le droit à la commission dès la commande (avec paiement sur paye le mois suivant ou le trimestre suivant, selon l’usage de la concession).

Or cette solution peut mettre la trésorerie du concessionnaire en péril compte tenu du décalage de plusieurs mois entre la commande et la livraison du véhicule (et donc son paiement complet), parfois plus d’un an pour certains utilitaires légers.

Ce système n’a donc pas prospéré, d’autant que les besoins de trésorerie ont augmenté fin 2022 (augmentation des stocks et baisse (relative) des ventes de véhicule d’occasion).
Le paiement des commissions à la commande déséquilibrait le fonds de roulement des concessions.

Une solution intermédiaire s’est mise en place dans de nombreux groupes : anticiper partiellement sur la prime de livraison, et en verser 50 % à la commande. Cette solution est envisageable temporairement, pour les grands groupes, le temps que les constructeurs adaptent ou retrouvent leur flux de production.

Cette solution peut être combinée avec le remplacement des primes individuelles de performance versées en fin d’exercice (bonus pour un plan d’objectif rempli à plus de 100 % par exemple), par une prime calculée différemment mais associée exclusivement aux commandes et versée régulièrement.

Un troisième axe a été testé par une minorité de distributeurs : revoir la répartition fixe/variable en augmentant significativement la partie fixe du salaire, jusqu’à 90% pour fidéliser les meilleurs vendeurs.

La contrepartie est souvent de diminuer le nombre de vendeurs, en réaffectant certains à des postes d’accueil ou à la prise en main du véhicule : ces postes sont moins rémunérés, il faut donc l’accord des salariés en question.

Une telle réorganisation, même temporaire, est potentiellement source de tensions dans les équipes et de contentieux.

  • Quelle est la marge de manoeuvre de l’employeur ?
  • Le vendeur est-il obligé d’accepter ?

Rappel des règles de droit applicables à la rémunération (quel que soit le secteur ou la Convention Collective applicable)

En premier lieu :

La rémunération est un élément essentiel du contrat de travail, ce qui signifie qu’elle doit être expressément convenue entre les parties, par écrit, et conforme aux minima légaux et conventionnels prévus pour la qualification du salarié.

A une rémunération donnée doit correspondre une durée de travail également fixée officiellement : 35 heures hebdomadaires, ou forfait mensuel incluant un nombre fixe d’heures supplémentaires, ou forfait annuel en jours, etc.

Ces éléments font l’objet de mentions explicites dans le contrat de travail, ou à défaut, sur le bulletin de paye.

Si la rémunération comprend un volet variable (prime, commission sur objectif, bonus, treizième mois…), un écrit doit préciser :

  • le montant maximum possible de la prime,
  • les conditions d’octroi et de calcul de la prime (atteinte d’objectifs quali et/ou quanti, paliers intermédiaires, présence dans les effectifs au moment du versement…),
  • les échéances de versement.

Comme tout élément fondamental du contrat passé entre les parties (comme la fonction exercée, la qualification…), la modification de la rémunération doit recueillir l’accord formel du salarié.

Qu’il s’agisse d’une modification de la structure (fixe, variable, 12 ou 13 ou 14 mois…), ou du montant global de la rémunération :

« la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l’employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié ».

(Cass. soc 18 mai 2011 n° 09-69175).

Attention, cette règle ne vaut que si les éléments de rémunération sont bien « contractuels », c’est-à-dire inclus dans les documents signés par le collaborateur au moment de son embauche, ou inclus dans un avenant postérieur.

Par exemple : une prime exceptionnelle d’un montant variable et dont le principe est aléatoire, n’est justement pas contractuelle.

N.B. : une clause du contrat de travail prévoyant d’emblée la possibilité pour l’employeur de modifier la rémunération en cours de collaboration n’est pas forcément licite : une telle clause ne permettrait pas de réduire le salaire ou les primes sans motif et sans l’accord du salarié.

En second lieu :

Les salariés soumis à primes sur objectifs reçoivent en principe chaque année un plan de commissionnement (ou plan d’objectifs, ou règles d’attribution de bonus) :

Ce document adressé au salarié pour information (et accord implicite ou explicite) décrit :

  • l’objectif quantitatif à atteindre (chiffre d’affaires, marge, quotas…),
  • éventuellement, l’objectif qualitatif (respect des procédures, des délais, satisfaction client…).

Ces objectifs doivent être accessibles, réalistes, conformes au marché et aux moyens donnés au salarié.

Les règles d’obtention d’une prime sur objectif doivent être communiquées dès le début la période concernée (année civile, exercice fiscal…), et non une fois que la période en question est sérieusement entamée, ce qui serait déloyal.

Il est conseillé aux employeurs d’aborder au moins une fois par an avec chaque commercial la progression de ses résultats et tout éventuel retard constaté sur les objectifs.

En toute logique, l’employeur doit également expliquer au salarié et justifier le montant finalement versé au regard des objectifs atteints : le salarié est légitime à demander les détails et les bases du calcul de sa prime, afin de vérifier qu’elle est conforme aux modalités fixées.

Que se passe-t-il en cas de désaccord sur un nouveau plan de commissionnement ?

Soit le plan annuel est expressément signé par le salarié, soit il l’accepte – a minima – en ne le refusant pas.

Si un salarié refuse un nouveau plan de commissionnement, parce qu’il estime, par exemple :

  • que les objectifs sont inatteignables,
  • qu’il ne dispose pas des moyens/formations/outils/temps nécessaire pour les atteindre,
  • que le nouveau mode de calcul ou les conditions d’obtention de la prime aboutissent automatiquement à un montant de prime inférieur à celui des années précédentes,

il est conseillé d’exprimer son désaccord par écrit et d’en donner les raisons, et/ou de demander des explications ou modifications.

Si le désaccord persiste :

  • soit l’employeur abandonne le nouveau mode de calcul de prime et en revient à celui de l’année précédente,
  • soit le salarié saisit le juge des prud’hommes pour contester le nouveau plan et par conséquent réclamer l’enveloppe totale de la prime espérée selon application du barème antérieur.

Attention :

En cas de clause du contrat de travail prévoyant le principe d’une rémunération variable/complémentaire d’un maximum de X euros, à condition d’atteindre les objectifs définis par annexe au contrat, définis une fois par an ;
Si aucun plan de commissionnement n'est adressé au salarié, ou s’il est communiqué trop tardivement dans l’exercice ( le 15 avril pour une année civile, par exemple), ou s’il est incompréhensible ou inapplicable :

Dans ce cas, le salarié est fondé à réclamer 100 % de l’enveloppe attendue de X euros. La jurisprudence est constante et favorable au salarié.

S’agissant de toute modification des conditions de travail ou de mission ayant pour effet indirect une réduction du montant des commissions :

Dans ce cas, l’employeur ne modifie pas le plan de commissionnement mais le montant de la prime sera affecté par la modification d’un autre paramètre :

  • réorganisation d’un service et nouvelle répartition de tâches entraînant une baisse du temps dédié à la prospection commerciale,
  • attribution d’un secteur géographique trop vaste, ou trop restreint, ou dont le potentiel commercial est moindre, entraînant inévitablement une baisse des commissions sur résultat.
  • mutation dans une agence / concession / magasin de taille moindre et au chiffre d’affaires notoirement inférieur.
  • attribution d’un nouveau portefeuille de produits au potentiel moindre, ou nouveaux, ou davantage concurrencé, entraînant une plus grande difficulté pour le commercial et donc une baisse de la part variable.

Dans tous ces cas, le salarié est fondé à refuser la modification de portefeuille ou de secteur, en ce qu’elle implique nécessairement une baisse de sa rémunération, et/ou à saisir le Conseil des Prud'hommes pour obtenir un retour aux conditions antérieures.

Attention : une telle modification pour motif économique, si le salarié la refuse, peut entraîner le licenciement pour motif économique.

Le cas du contexte économique

La modification de la rémunération peut devenir indispensable à la sauvegarde de l’entreprise : elle est dans ce cas justifiée par un motif d’ordre économique, d’une nécessité supérieure à la seule recherche d’une meilleure marge de profit.

C’est le cas du rééquilibrage du salaire des commerciaux automobiles entre fixe et variable, et des modifications du mode de déclenchement / calcul des primes : ces ajustements ont lieu dans un contexte de difficultés sectorielles connues de tous.

Il est vivement recommandé à l’employeur, dans ce cas, de rappeler par écrit le contexte et les exigences économiques qui le contraignent à modifier la structure et/ou le montant des primes.

Des réunions d’information ont ainsi été largement organisées dans le secteur automobile, pour expliquer aux salariés les ajustements envisagés et les sensibiliser à la nécessité de ces nouveautés, même si elles représentent une baisse de rémunération.

Des comptes-rendus de réunions, PV de réunions de CSE et autres supports écrits faciliteront l’acceptation des modifications.

Les modifications devront cependant être proposées par avenant écrit à chaque collaborateur concerné.

En cas de refus du salarié, l’employeur a la possibilité de le licencier pour motif économique (et non fautif) : l’impossibilité matérielle de maintenir le plan de commissionnement habituel.

L’employeur devra alors prouver l’impossibilité matérielle de renoncer à la modification.

  • validité du nouveau plan de commissionnement,
  • modalités de refus,
  • opportunité de refuser ou négocier.

Votre avocat peut vous conseiller.

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