Vent de panique chez les accros au « Full TT » (travail à domicile ou télétravail total) : les employeurs semblent vouloir revenir au bon vieux « présentiel », ou travail sur site.
Aux USA, le géant Amazon a annoncé récemment à l’ensemble de ses salariés la fin du télétravail et la reprise du travail « sur site », obligatoire et pour tous, à compter du 1er janvier 2025.
Des poids lourds de l’économie américaine : ChatGPT, Disney, Tesla, Salesforce ou encore Dyson ont amorcé un net virage vers le « full office ». Le patron de JP Morgan a même interdit le télétravail des cadres supérieurs, estimant que cette modalité inhibe l’esprit de décision.
En France, le mouvement est plus discret mais bien présent. Mi-septembre, divers syndicats des métiers du jeu vidéo et de l’informatique ont protesté contre l’annonce d’Ubisoft France d’imposer « un retour forcé » au travail sur site.
De nombreuses filiales françaises d’entreprises anglo-saxonnes suivent le pas, et nos cabinets d’avocats constatent que ce motif de discorde est en hausse.
Depuis la crise sanitaire du Covid (2020) et sous l’impulsion de certains secteurs d’activité – et des salariés les plus jeunes -, le télétravail avait paru soudain la solution à de nombreux problèmes : réduire le temps de transport, diminuer le temps/nombre de réunions improductives, offrir une sensation d’autonomie et de liberté d’organisation …
De façon moins officielle, cela permettait aussi aux employeurs d’économiser de la surface de bureaux, et de faire baisser l’absentéisme « de confort » pour régler un problème de garde d’enfant ou d’intendance.
Nombre d’embauches se sont donc faites, entre 2020 et 2023, sur la base plus ou moins contractualisée d’un télétravail à temps plein, ou à la carte. Le jeune cadre qui a signé à cette condition a parfois acheté une maison à la campagne d’où il travaille, et/ou fondé une famille et assure la sortie d’école avant de se reconnecter en fin de journée… D’autres ont carrément l’habitude de travailler de n’importe quel endroit
Dans le contexte Covid, des accords d’entreprise ont été négociés et signés à cette époque sur les modalités de télétravail, le plus souvent pour une durée de 3 ans : ils arrivent à échéance et permettent ainsi à l’employeur de refermer la parenthèse.
Depuis début 2024, une partie des employeurs et des salariés indiquent avoir touché les limites du « tout TT ».
Démotivation et isolement pour les uns, perte de productivité et d’esprit d’équipe pour les autres, et pour tous : difficultés à manager un collaborateur/ être managé par un supérieur qu’on ne voit jamais !
Certains employeurs revoient donc leurs promesses d’être un patron « TT friendly », et c’est parfois source de contentieux :
- si l’embauche a été conditionnée par un droit au télétravail mais sans précision contractuelle, le télétravail n’est donc qu’un usage que l’employeur peut dénoncer avec un délai de prévenance. Le salarié peut invoquer une organisation matérielle acceptée de fait par l’employeur et un impact trop important sur sa vie privée (lieu de résidence, engagements familiaux etc.).
- si un avenant individuel a été signé pour organiser le télétravail et que l’employeur veut le modifier/dénoncer, il peut proposer un avenant de retour au présentiel en invoquant une nécessité organisationnelle. Même chose : le salarié peut refuser l’avenant pour des motifs personnels, mais s’expose alors à un éventuel licenciement pour motif économique (du fait de la nécessité organisationnelle invoquée par l’employeur).
- si un accord d’entreprise a été signé et qu’il arrive à échéance, l’employeur souhaitant le revoir/modifier, et que les syndicats s’y opposent, soutenus par/ à la demande des salariés.
Un exemple caractéristique est celui de SAP, société d’édition de logiciels et employeurs d’une centaine de milliers de collaborateurs.
SAP avait mis en place en juin 2021 une politique favorisant le travail flexible, au choix du salarié : au bureau, à domicile, ou même à distance – de n’importe où. En février 2024, le DG de SAP a communiqué son souhait de voir tout le monde retourner au bureau au moins 3 jours par semaine. Il estimait que le télétravail et les vidéoconférences tuaient la culture d’entreprise et les liens d’équipe, et s’appuyait justement sur son expérience de pionnier du travail hybride.
A l’annonce de ce revirement, 5.000 salariés ont signé une lettre pour dénoncer cette « trahison », beaucoup d’entre eux ayant organisé vie privée/familiale autour de cette flexibilité. Le CE européen a également relayé cette colère et la menace de milliers de démissions, soulignant que les collaborateurs, rarement augmentés, avaient pris leur parti de s’installer dans des régions moins coûteuses.
Tout comme IBM ou Google, SAP a fortement incité les salariés à accepter un retour au bureau au moins 3 jours par semaine (primes de trajet, promotions etc.)
Peu après l’annonce de la fin du télétravail à la carte, SAP a ouvert un plan social visant à restructurer les emplois en intégrant l’impact de l’Intelligence Artificielle, faisant ainsi d’une pierre deux coups.
Le télétravail n’est donc plus la panacée systématique, mais il reste extrêmement apprécié par les salariés à raison d’au moins une à deux journées par semaine, et toléré par l’employeur dans ces proportions raisonnables.
Il s’agit désormais de trouver un équilibre durable…
Si votre organisation de travail est menacée/revue, n’oubliez pas de :
- vérifier le dernier avenant à contrat de travail signé avec votre employeur au sujet du télétravail
- vérifier s’il existe un accord d’entreprise ou une charte d’utilisation du TT applicables
- anticiper un entretien à ce sujet avec l’employeur et proposer d’emblée une organisation incluant 1 jr ou 2 jrs ou 3 jrs de TT/ semaine, à soumettre et à débattre
- si le retour à un travail sur site n’est pas envisageable pour vous, ne pas hésitez à prendre les devants pour évoquer vos impératifs personnels : éloignement du domicile, enfants en bas âge, problèmes de santé ou de mobilité…
A propos de santé et de télétravail, attention :
La cour de cassation considère depuis 2023 que le télétravail (ou travail à domicile) est un aménagement de poste qui doit obligatoirement être mis en place par l’employeur s’il est prescrit par le médecin du travail dans le cadre d’un avis d’aptitude restreinte.
L’adaptation du poste en télétravail doit être effectuée par l’employeur même si le télétravail n’a jamais été mis en place dans l’entreprise, dès lors que le médecin préconise cette organisation dans le cadre de son avis d’aptitude.
La cour de cassation considère qu’il s’agit d’un simple aménagement d’un poste existant, et non d’un nouveau poste (alors même qu’en l’espèce, l’aménagement incluait également un passage à temps partiel à raison de 2 jrs/semaine).
(Cass soc n° 21- 15.472, 23 mars 2023).
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