Covid 19 et confinement : la crise sanitaire peut-elle justifier tous les licenciements économiques ?
L’épidémie de Covid 19, liée au coronavirus Sars-CoV2, constatée en France à compter de fin janvier 2020, a donné lieu à une situation sanitaire inédite, entraînant des mesures réglementaires tout aussi inédites.
Un état d’urgence sanitaire a été instauré pour deux mois par la loi du 23 mars 2020, prolongé une fois jusqu’au 10 juillet 2020, applicable ensuite de façon dégressive jusqu’au 31 octobre 2020.
Cet état d’urgence a permis au pouvoir exécutif de limiter ou interdire, par voie réglementaire, la circulation des personnes et des véhicules, les rassemblements et réunions de toute nature, mais aussi de fermer totalement ou partiellement les établissements recevant du public, à l’exception de ceux fournissant les biens de première nécessité, de réquisitionner les biens et services « nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire », ainsi que « prendre toute mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire ».
En d’autres termes, restreindre ou empêcher l’activité professionnelle dès lors que cette restriction permet de contrer l’épidémie.
Afin de limiter les conséquences économiques de ces mesures drastiques, diverses aides ont été mises en place : aides directes et indirectes aux personnes et aux entreprises, soutien à la trésorerie des professionnels, élargissement de l’accès au chômage partiel, règles dérogatoires à la prise de congés payés, RTT, jours de Compte Epargne Temps, règles dérogatoires à la réduction du temps de travail, et même à la justification d’absence pour maladie dans le cas de parents ne disposant plus de moyen de garde ni d’école pour leurs enfants, permettant ainsi le versement de revenus de remplacement (IJSS) à des conditions exceptionnelles.
Les délais de procédure en matière civile et pénale, les règles contractuelles liées aux délais et pénalités, les dispositions du code du commerce, certaines règles relatives aux baux locatifs ont été également adaptées.
Des mesures exceptionnelles ont également été prises en matière de paiement des loyers, des factures d’eau, gaz, et électricité, en matière de remboursements de prêts bancaires, de délais administratifs et judiciaires, etc.
Malgré cet éventail de mesures, nombre d’entreprises, de toute taille, se trouvent très affectées économiquement par les conséquences de cette crise, et la fin de l’état d’urgence sanitaire n’aura pas toujours permis un retour à la normale.
Dans tous les secteurs, services, industrie ou commerce, des employeurs s’interrogent sur la viabilité d’une partie de leurs emplois, compte tenu d’une activité fortement réduite ou à l’arrêt, ou trop irrégulière. Les mesures de soutien ne parviennent pas toujours à combler la baisse plus ou moins importante de chiffre d’affaires, et pour certains, l’absence de certitude sur une reprise s’ajoute aux difficultés.
Peut-on pour autant considérer que ces difficultés économiques, dont la réalité est incontestable, constituent un motif systématique et irréfutable de licenciement économique ?
La position du gouvernement, largement exprimée depuis le début de la crise, est d’encourager les employeurs privés à éviter par tout moyen les licenciements : l’accès exceptionnellement élargi au chômage partiel, en termes de délais et de conditions d’indemnisation, en a été l’outil majeur.
Constatant que certains grands groupes ont en réalité invoqué le Covid pour justifier des projets de restructuration pré-existants, malgré, pour certains, le bénéfice d’aides étatiques, le gouvernement avait émis l’idée d’interdire les licenciements économiques. L’idée n’a pas été retenue, et le gouvernement est juridiquement impuissant à empêcher ces licenciements, mais il convient de s’interroger sur l’appréciation que les tribunaux feront de tels licenciements contestés en justice.
En effet, à ce jour, ni le contexte de la pandémie ni la loi sur l’état d’urgence sanitaire n’ont modifié les conditions de validité d’un licenciement économique.
Il est donc rappelé qu’un licenciement prononcé pour motif économique doit toujours, légalement et depuis 2008, être fondé sur :
« un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, et résulter d’un suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives à des difficultés économiques ou des mutations technologiques. »
Depuis la loi dite « Travail » du 8 août 2016, un licenciement économique peut aussi résulter d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, ou de la cessation de son activité (article L1233-3 code du travail).
La même Loi Travail a également précisé que la réalité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification du contrat de travail s’appréciait au niveau de l’entreprise – élargie au groupe auquel elle appartient si besoin, et non d’une activité ou d’un établissement, confirmant ainsi la position jurisprudentielle.
La Loi Travail a enfin encadré la notion de « difficulté économique », qui doit s’illustrer par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique : commandes ou chiffre d’affaires, pertes d’exploitation ou trésorerie, ou excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément objectif pouvant justifier les difficultés.
Une baisse du chiffre d’affaires ou des commandes est jugée significative lorsqu’elle dure, en comparaison de la même période de l’année précédente, au moins un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à moins de 50 salariés, trois trimestres consécutifs pour une entreprise de 50 à moins de 300 salariés, quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de plus de 300 salariés.
La notion de « dettes importantes » ou « d’avenir incertain », ou une simple baisse d’activité couplée à des frais d’équipements sanitaires ne suffit donc pas à justifier la suppression d’un emploi : la nécessité vitale de cette suppression doit pouvoir être démontrée.
La notion de « réorganisation nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise » signifie qu’une menace certaine et suffisante doit peser sur l’entreprise pour justifier le/les licenciements envisagées, et non seulement un souci de rentabilité, ou de réduction de frais et d’une augmentation de marge.
La cessation d’activité doit, elle, être définitive, et totale.
Une fois le motif arrêté, il convient de rappeler que le licenciement ne peut être prononcé avant qu’une recherche de reclassement ne soit conduite, sérieusement et de bonne foi, dans le périmètre complet de l’entreprise et au besoin en prévoyant une formation. Les postes moins qualifiés ou à temps partiel doivent être proposés le cas échéant.
Enfin, en cas de licenciement collectif prévoyant la suppression d’un certain nombre d’emplois similaires au sein d’un service, les salariés visés doivent être désignés par application des critères d’ordre des licenciements : ancienneté, charges de famille, qualités professionnelles ou éventuelles difficultés de réinsertion notamment.
La procédure propre aux licenciements économiques doit également être respectée : entretien préalable, proposition d’une convention de sécurisation professionnelle, notification détaillant le motif économique, et dans le cas de licenciements en nombre supérieur à 10, mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi incluant des indemnisations et mesures spécifiques d’accompagnement, et une consultation préalable des représentants du personnel.
Faute de pouvoir justifier précisément de ces difficultés, de cette recherche de reclassement et du respect de la procédure de licenciement, un employeur dont la décision est contestée en justice pourrait se voir condamné à des dommages et intérêts et/ou à une réintégration du salarié dans l’entreprise.
Le contexte très défavorable et l’insécurité économique subie par les employeurs actuellement ne les exonère cependant pas des dispositions légales applicables.
IL est à parier qu’un employeur ayant prétexté à tort de difficultés liées à la pandémie pour justifier une réorganisation initiée avant le confinement ou sans rapport avec ce contexte, s’exposerait à une sévère condamnation.
Il convient de vérifier, avant d’agir en contestation du licenciement :
- La réalité des difficultés invoquées,
- Leur chronologie précise par rapport aux évènements de 2020,
- La motivation invoquée dans la notification, qui fixe définitivement les termes du litige.