Rappel : avant la loi de 2022
Qu’est-ce qu’un abandon de poste ?
C’est une notion jurisprudentielle, il n’en existe aucune définition légale mais il est entendu comme :
le fait, pour le salarié, de se rendre indisponible à son employeur durant son temps de travail, sans motif légitime.
Si certains pensent qu’il existe une différence entre abandon de poste et absence injustifiée, il n’en est rien. La jurisprudence ne fait effectivement aucune distinction entre ces deux situations.
Depuis un arrêt du 14 décembre 2016, la chambre sociale de la cour de cassation considère même que l’abandon de poste peut être réitéré (c’est-à-dire qu’il se prolonge dans le temps) et que cela fait courir le délai de prescription de deux mois dont dispose l’employeur pour sanctionner, tant que l’absence se prolonge.
Que se passait-il en cas d’abandon de poste ?
Rappelons le droit pour comprendre l’enjeu de l’abandon de poste pour le salarié : tout licenciement, même prononcé pour la faute la plus lourde, donne droit à l’indemnisation chômage, car la prise en charge est liée au fait que la rupture du contrat est à l’initiative de l’employeur, peu important le motif.
Ce n’est pas le cas de la démission, qui est donc une rupture du contrat à l’initiative du salarié, et n’ouvre pas droit à prise en charge par Pôle Emploi.
Certains salariés envisageaient donc l’abandon de poste comme une stratégie pour provoquer, à une date choisie, leur licenciement.
Cette méthode, plus avantageuse qu’une simple démission, et qui pouvait être mise en œuvre pour contourner un refus de l’employeur d’accorder une rupture conventionnelle, n’était pas sans risque. En effet, le droit ne prévoit aucune obligation pour l’employeur de licencier le salarié déserteur, et ainsi lui ouvrir droit à son indemnisation chômage.
Certains employeurs se contentaient d’émettre des mois ou des années durant des bulletins de paye à zéro, refusant d’ « offrir » au salarié un accès à Pole Emploi en déclenchant un licenciement.
La jurisprudence n’oblige pas l’employeur à rémunérer le salarié qui ne travaille pas, soit n’exécute plus son contrat de travail.
Avant 2022, le salarié fantôme prenait donc le risque de n’être ni licencié, ni rémunéré, et de n’avoir d’autre choix que de tirer un trait sur son indemnisation Pôle Emploi, impossible à mettre en œuvre sans une attestation de fin de contrat émise par l’employeur.
Il est en effet délicat de disparaître de son poste sans raison légitime ni communication, puis de «réclamer » à son employeur une procédure de licenciement …
En pratique, l’employeur se décidait malgré tout le plus souvent à licencier son salarié pour faute grave, afin de pouvoir le sortir du décompte de ses effectifs. La faute grave, justifiée dans ce cas, privait le salarié de son indemnité de licenciement mais pas de son chômage.
S’agissant de savoir si l’abandon de poste peut valoir démission, la chambre sociale de la cour de cassation avait répondu par la négative dans un arrêt du 10 juillet 2002. La position était justifiée : une démission est une manifestation claire et non équivoque de la volonté d’un salarié de mettre fin à son contrat de travail. A l’inverse, l’abandon de poste ne permet pas à l’employeur d’avoir de certitude quant au motif et à la durée de l’absence de son salarié.
Avant 2022, l’employeur n’avait donc d’autre choix que de licencier son salarié déserteur s’il voulait s’en séparer définitivement. S’il lui venait à l’idée d’empêcher l’accès à son poste de travail au salarié le jour de son retour (en cas de retour inopiné ), cela s’interprétait comme un licenciement verbal sans cause réelle et sérieuse.
Loi nouvelle : abandon = démission, à certaines conditions
La loi du 21 décembre 2022 « portant mesures d’urgences relatives au fonctionnement du marché du travail » modifie le régime de l’abandon de poste et endigue la stratégie de l’ « autolicenciement ».
Elle crée en effet une présomption de démission en cas d’abandon de poste, codifiée désormais à l’article L.1237-1-1 du Code du travail. Le salarié ayant volontairement abandonné son poste sera alors bel et bien considéré comme démissionnaire, c’est-à-dire à l’origine et à l’initiative de la rupture de son contrat de travail au regard de la loi.
Dès lors, il n’aura pas le droit de percevoir d’indemnisation chômage.
Plus précisément, l’article dispose que la présomption sera applicable à l’expiration d’un délai fixé par l’employeur. À noter que le décret du 17 avril 2023 pris en application de la loi prévoit que ce délai ne peut être inférieur à 15 jours.
La loi soumet néanmoins cette présomption de démission à plusieurs conditions :
- Tout d’abord, l’employeur doit d’abord mettre en demeure son salarié de justifier de son absence ou reprendre son poste dans un certain délai, et cela par courrier en recommandé avec accusé de réception.
C’était déjà une pratique recommandée avant la loi, pour éviter tout malentendu.
- Également, le salarié ne doit pas avoir justifié son absence par un motif recevable pour que son employeur puisse le considérer comme démissionnaire.
- La présomption n’est pas invocable lorsque le salarié quitte son poste pour des raisons de santé, de sécurité ou encore pour mettre en œuvre son droit de grève ou son droit de retrait.
- Elle n’est pas non plus applicable lorsque le salarié est en contrat à durée déterminé ou exerce en qualité d’intérimaire.
- Enfin, le salarié ne doit pas non plus avoir repris son travail.
Dans ce cas, s’il reprend après une absence injustifiée, il peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire proportionnée à la durée de l’absence et au dossier général du salarié (ancienneté, récidive, états de service…), mais il ne peut pas être considéré comme démissionnaire.
Cela étant, en cas de contentieux, les conseillers prud’homaux font une libre appréciation de la mise en œuvre de cette nouvelle présomption. Autrement dit, s’ils décident que la démission ne peut pas être retenue au regard des faits du litige, ils requalifieront la rupture du contrat en licenciement abusif.
A l’issue de ce cas, l’employeur serait perdant et devrait finalement indemniser le salarié.
Il convient donc à l’employeur de déterminer s’il n’est pas plus opportun d’avoir d’emblée recours à un licenciement du salarié pour abandon de poste.
En tout état de cause, il demeure que l’abandon de poste n’est toujours pas, moins que jamais, un moyen recommandé de quitter son employeur.